Initiative pour une baisse d’impôt de 10 % à Neuchâtel : une belle promesse, mais un argumentaire fragile

L’Alliance neuchâteloise (PLR, UDC et Le Centre) a lancé une initiative populaire visant une baisse progressive de 10 % de l’impôt sur les personnes physiques d’ici 2030, par rapport à 2023. Présentée comme un moyen de renforcer le pouvoir d’achat et l’attractivité du canton, cette proposition soulève pourtant de nombreuses questions. Au-delà des slogans accrocheurs, l’argumentaire fourni par les initiants révèle des faiblesses majeures, tant sur le fond que sur la forme.

1. Un raisonnement économique simpliste

L’argument central repose sur une idée séduisante : baisser les impôts stimulerait mécaniquement l’économie et attirerait de nouveaux habitants. Ce postulat, bien que souvent repris dans les débats politiques, est loin d’être une évidence économique.

Les initiants affirment qu’une baisse de 10 % des taux d’imposition permettrait de compenser la perte fiscale par une croissance de la population imposable. Or, cette logique repose sur une version naïve de la courbe de Laffer, selon laquelle moins d’impôt = plus de recettes. Une idée contestée par de nombreux économistes, surtout dans un canton à la situation financière fragile comme Neuchâtel.

Aucune modélisation, aucune étude sérieuse n’est proposée pour étayer cette hypothèse. Combien de nouveaux contribuables faudrait-il attirer pour compenser la baisse ? À quels coûts en infrastructures et services ? Silence radio.

2. Une sous-estimation grave des conséquences budgétaires

L’argumentaire affirme que les services publics ne seront pas affectés, en se basant sur « l’exemple d’autres cantons ». Aucun nom n’est donné, aucune comparaison n’est détaillée. Or, Neuchâtel n’a ni la base fiscale de Zoug, ni le tissu économique de Genève.

Plus grave encore, les initiants suggèrent d’utiliser la réserve conjoncturelle du canton (223 millions annoncés fin 2024) comme levier pour compenser une baisse d’impôt durable. C’est là une confusion inquiétante entre conjoncturel et structurel : ces réserves sont là pour faire face à des crises ponctuelles, pas pour couvrir des baisses pérennes de recettes fiscales.

Aucune information non plus sur les dépenses incompressibles (santé, éducation, cohésion sociale). On parle de « réorganiser les priorités budgétaires », sans préciser lesquelles ni comment.

3. Des chiffres jetés sans rigueur

Le document cite une « perte de 30 à 40 millions par an » due à l’exode fiscal, soit 300 à 400 millions sur 10 ans. Ce chiffre est répété plusieurs fois, mais sans aucune source ni détail méthodologique. De qui parle-t-on ? De contribuables à haut revenu ? De familles ? Quelle part de ces départs est réellement due à la fiscalité ?

Même flou autour de l’effet sur le pouvoir d’achat. On lit que 90 % des contribuables en bénéficieraient immédiatement. C’est oublier que pour de nombreux ménages modestes, les baisses d’impôt sont marginales et peuvent même être annulées par des hausses de coûts ailleurs (crèches, énergie, primes maladie, etc.).

4. Une rédaction brouillonne et répétitive

L’argumentaire donne une impression de précipitation. Certaines phrases sont répétées mot pour mot (notamment celles sur l’exode fiscal), et des paragraphes entiers font doublon. On retrouve un style excessivement lyrique et électoral : « un lieu où il fait bon vivre », « un signal fort », etc. À aucun moment, on ne prend la peine de structurer clairement l’enchaînement des arguments ou de répondre aux contre-arguments.

Il ne s’agit pas là d’un simple problème de forme : cette imprécision nuit à la crédibilité du projet. Une réforme fiscale de cette ampleur exige des projections chiffrées, des scénarios de compensation et une réflexion sur les impacts sociaux.

Conclusion : une initiative séduisante, mais insuffisamment sérieuse

Réduire la charge fiscale à Neuchâtel est un débat légitime, et la question du pouvoir d’achat est cruciale. Mais pour convaincre, il faut autre chose que des slogans.

L’initiative de l’Alliance neuchâteloise échoue à présenter un projet cohérent, chiffré et crédible. Elle repose sur des hypothèses non démontrées, minimise les risques budgétaires, et propose un texte mal structuré, répétitif et politiquement peu rigoureux.

Avant de se prononcer sur un changement aussi important, les citoyennes et citoyens de Neuchâtel méritent mieux : un vrai débat, des données solides, et un projet fiscal responsable.

Dans cette optique, je serais tout à fait favorable à un échange avec les initiants de l’Alliance, dans un esprit constructif. L’objectif n’est pas de défendre une position « de gauche » ou « de droite », mais de chercher ensemble la meilleure solution pour notre canton, en dépassant les logiques partisanes. Si cette initiative peut être un point de départ vers un projet plus solide, mieux pensé et plus équitable, alors parlons-en.

Annexe

  • Plus le revenu est élevé, plus le gain absolu est important.
  • Cette baisse profite très peu aux bas revenus, alors que ce sont eux qui souffrent le plus de la perte de pouvoir d’achat.
  • Elle revient de fait à augmenter les inégalités de revenu disponible, sans ciblage.
Revenu annuel Impôt annuel estimé (2023) Gain avec -10 % Gain mensuel Commentaire
CHF 35’000 CHF 1’000 CHF 100 CHF 8 Négligeable, mangé par les hausses d’assurance, énergie, etc.
CHF 70’000 CHF 3’000 CHF 300 CHF 25 Toujours faible, pas de quoi relancer la consommation.
CHF 120’000 CHF 12’000 CHF 1’200 CHF 100 Commence à être significatif.
CHF 200’000 CHF 30’000 CHF 3’000 CHF 250 Grosse amélioration de trésorerie pour un foyer déjà à l’aise.
CHF 500’000 CHF 90’000 CHF 9’000 CHF 750 Jackpot fiscal pour les très hauts revenus.

 

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